Nichée entre les doux replis des Apennins, Bologne se dresse à mi-chemin entre la poésie vaporeuse de Venise et le dynamisme historique de Florence. Le chef-lieu de la région d’Émilie-Romagne est une ville aux multiples facettes. Depuis la Suisse, quelques heures de train suffisent pour plonger dans la magie et la douceur de ce bout d’Italie.
C’est souvent la même histoire. L’hiver qui tire lentement sa révérence, le ciel déshabillé de ses lourds nuages et l’herbe qui verdit d’avoir bu la neige fondue me donnent une irrémédiable envie de soleil. Je n’ai pas beaucoup réfléchi avant de tourner le regard vers l’Italie et de choisir Bologne – moins célèbre que Rome, plus ensoleillée qu’Avenches mais pourvue d’autant de richesses historiques, culturelles et dépaysantes que ces deux cités.
Au printemps, Bologne s’éveille, les terrasses des cafés s’animent et les marchés débordent de produits ensoleillés. C’est le moment idéal pour explorer cette ville à trois visages : Bologne la Rouge, avec ses édifices historiques et son ambiance chaleureuse; Bologne la Savante, cité d’histoire et de savoir, berceau de l’une des plus anciennes universités du monde; Bologne la Grasse, capitale de la gastronomie italienne où chaque repas est un festin.
Quelques heures de train m’ont suffi pour rejoindre la belle cité italienne. Aux portes de la gare centrale, je savoure la caresse du soleil en humant l’odeur de la ville. Il vaut mieux rouvrir les yeux rapidement afin d’éviter la course endiablée des voitures qui tournent autour du centre. L’air est voilé, flouté par les effluves de ce trafic. Conjuguée aux sonorités chantantes de la foule, l’ambiance me rappelle Milan.
L’imposante Via Indipendenza trace une colonne vertébrale jusqu’au cœur de la ville. Sous ses hautes arcades, on longe les boutiques pour déboucher sur la Piazza Maggiore, centre névralgique de Bologne. Au pied de la fontaine de Neptune, j’embrasse du regard les édifices qui encadrent la place et ornent les cartes postales. La ville est surnommée «la rouge» en raison de la teinte en brique de la plupart de ses bâtiments.
Avec son étonnante façade, la basilique San Petronio donne un savoureux relief à la Piazza Maggiore. Sa construction débute au 14e siècle avec l’ambition d’en faire un édifice religieux surpassant toutes les églises de l’époque, y compris Saint-Pierre de Rome. Les travaux avancent par vagues, reflétant les fortunes changeantes de Bologne. La façade reste inachevée, partiellement revêtue du marbre initialement prévu. Elle est aujourd’hui un symbole de la ville, métaphore de la beauté dans l’imperfection. À l’intérieur de la basilique, les vastes nefs et les chapelles latérales regorgent d’œuvres d’art, de fresques et de sculptures qui racontent des siècles de dévotion et d’art italien. L’immensité me noie. La foule ondoie, s’immobilise devant les statues avant de reprendre son mouvement. Les appareils photo crépitent et la discrétion qu’on réserve aux lieux de cultes s’évapore dans un nuage d’encens.
En face de la basilique, le Palazzo del Podestà cache un discret secret. Au centre de l’édifice, un curieux effet acoustique permet de se parler, même à voix basse, des quatre coins de la voûte qui la soutiennent. Le rez-de-chaussée du monument accueille des terrasses d’où écouter les musiciennes et musiciens de rue. Leurs notes emplissent la Piazza Maggiore en journée comme en soirée. On s’arrête, on écoute, on applaudit en laissant une pièce dans le coffre de leur instrument. Un homme coiffé d’un béret usé fabrique d’immenses bulles de savon que les enfants s’amusent à éclater.
Au coin de la Piazza Maggiore, la tour de l’Horloge orne le Palazzo d’Accursio, dont les murs renferment la mairie de Bologne mais également une chapelle et les collections municipales d’art. La tour offre un coup d’œil superbe sur la ville.
La ligne des toits est entrecoupée de nombreuses tours aussi rouges que les façades à leur pied. Au Moyen-Âge, on comptait plus d’une centaine de tours érigées par les familles nobles comme symboles de leur richesse mais aussi comme structures de défense. Nombre d’entre elles ont aujourd’hui disparu, mais les deux plus connues, subsistent à deux pas d’ici. La tour Garisenda, à l’inclinaison si reconnaissable que même Dante la mentionna dans la Divine Comédie, côtoie la vertigineuse Assinella. En grimpant ses 498 marches, on accède à l’une des plus belles vues sur le centre de Bologne – mais son accès est actuellement interdit en raison de travaux. Je me suis donc contentée de l’admirer d’en bas.
Aux lignes verticales des tours bolonaises répond la rondeur des centaines d’arcades courant à travers la ville. Elles forment plus de quarante kilomètres de portiques pourpres dont la valeur culturelle et artistique est reconnue au patrimoine mondial de l’UNESCO. L’arcade la plus célèbre de Bologne est la plus longue du monde: partant du centre-ville, elle mène au Sanctuaire de la Madonna di San Luca, quatre kilomètres et 664 arches plus loin.
L’histoire des arcades est étroitement liée à celle de l’Université de Bologne. Fondée en 1088, elle est considérée comme la plus ancienne université du monde occidental. Au Moyen-Âge, elle connaît une importante croissance qui provoque une forte demande de logements pour les élèves. La loi interdisant d’ajouter des étages aux habitations ou d’en augmenter la superficie, une pirouette est trouvée : on élargit le premier étage au-dessus de la rue en ajoutant des piliers. Séduite par l’idée, la municipalité impose l’ajout d’arcades à toute nouvelle construction.
L’Université de Bologne est composée de diverses facultés disséminées dans la ville. Elle avait son siège tout près de la Piazza Maggiore, dans le Palazzo dell’Archiginnasio. Au tout début du 19e siècle, Napoléon fait déplacer le siège de l’université dans le bâtiment historique du Palazzo Poggi, dans la Via Zamboni.
Le quartier étudiant s’étend tout autour et regorge de bars et de cafés. Il abrite également l’impressionnante bibliothèque universitaire, quelques-uns des cinquante musées de «Bologne la Savante». J’y ai visité le Musée Poggi et ses fascinantes collections ; anatomie, botanique, zoologie mais aussi art naval et militaire, ce musée universitaire est incroyable, effrayant et passionnant.
Pour prolonger la parenthèse de quiétude, je m’éloigne du centre pour m’aventurer du côté du cimetière de Certosa. Dans ce véritable musée à ciel ouvert, je reste muette devant les monuments et statues remarquables qui s’érigent entre les buissons taillés en arancini pointus.
À Bologne, on ne plaisante pas avec la gastronomie. J’ai adoré me perdre dans le Quadrilatero, à deux pas de la Piazza Maggiore. Dans les ruelles étroites de ce quartier central, des échoppes traditionnelles déballent leur assortiment dans une explosion de couleurs et de saveurs. Les terrasses ne se vident jamais, il est toujours l’heure de partager un joli moment autour d’une assiette ou d’un verre.
Crescentine, gramigna alla salsiccia, lasagna verde, tortellini in brodo… les pâtes fraîches sont reines! Au coin des rues, des vitrines s’ouvrent sur une cuisine en effervescence. Sous les yeux des passantes et des passants, des mains habiles manient la farine et façonnent des pâtes à déguster immédiatement. Aucune mention des «spaghetti à la bolognaise» sur la carte des restaurants, la recette typique et authentique est celle des tagliatelle al ragù – que je n’ai pas goûtées, ayant arrêté de manger des animaux il y a bien longtemps. Les adresses végé ne manquent pas, il suffit de faire un tour sur internet pour avoir l’embarras du choix.
Même si l’arrivée du printemps n’a pas encore rendu la ville suffocante, je ne quitterai pas l’Italie sans être passée par une gelateria artisanale. Les meilleures glaces sont probablement à déguster à la Sorbetteria Castiglione, non loin de la jolie Piazza San Stefano.
Pour ma part, je m’éloigne du centre-ville et grimpe jusqu’à l’église San Michele in Bosco. Son esplanade offre une belle vue sur Bologne, un endroit idéal où voir mourir le soleil, noyé dans la brume d’une journée de février.
0 commentaires