Au début du printemps, j’ai reçu sur mon mail pro une invitation à participer à une croisière fluviale à bord de l’un des navires de Thurgau Travel en échange d’un article. J’ai checké leur offre tout en sachant déjà que ça risquait d’être compliqué: sérieux, une semaine à bord d’un hôtel flottant, est-ce bien raisonnable pour la planète?
Spoiler alert: la réponse est non. En même temps, le voyage en général n’est jamais complètement vert. Ce n’est pas une fausse excuse: même en faisant des efforts (notamment en évitant de prendre l’avion) il est impossible de réduire à zéro son impact sur l’environnement lorsque l’on voyage. Avant d’effacer le mail d’invit’, j’en ai discuté avec mes collègues et j’ai effectué quelques recherches. C’est évident, un voyage en bateau n’est pas aussi écologique qu’une excursion en train. Mais les croisières fluviales, moins extravagantes que leurs grandes sœurs maritimes, peuvent constituer une alternative raisonnable aux déplacements aériens, l’avion restant le pire du pire en matière d’émissions.
Sur cette réflexion, j’ai consulté les offres de Thurgau Travel. L’entreprise familiale suisse-allemande propose des croisières fluviales dans le monde entier. J’opte évidemment pour un voyage en Europe, dont le port de départ et d’arrivée soit accessible en bus ou en train depuis la Suisse. Ce sera le Danube et ses villes mythiques, de l’Allemagne à la Hongrie. Avant de confirmer, je précise encore à mes interlocuteurs que le but est d’en savoir plus sur les croisières et d’aborder ce voyage sous un angle critique. «Kein Problem»!
Fin juin, j’embarque donc à bord du Antonio Bellucci, un joli bateau qui peut accueillir près de 150 passagers. Au programme: Passau, Melk, Vienne, Budapest puis retour avec arrêts à Visegrád, Bratislava et Dürnstein. Sur la carte, voilà ce que ça donne:
Dans cet article, je ne vais pas te parler en détail des escales. Je préfère commencer par te présenter un peu le principe de ce genre de voyage, la vie à bord, l’organisation, etc, car je suppose que tu n’es pas un grand habitué des croisières (mais je me trompe peut-être?) et évoquer les questions environnementales. D’autres articles suivront au sujet de l’itinéraire et des escales qui m’ont particulièrement plu.
Bienvenue à bord
C’est à Zurich que l’aventure commence puisque j’y prends le bus dans lequel je rencontre mes nouveaux copains de croisière. Âge moyen: 72 ans. Mais ce n’est pas grave, tout le monde est super gentil et je me fais déjà 2-3 potes en route, étonnés de ma présence dans ce groupe. Notre bus roule jusqu’à Passau, en Allemagne, où nous embarquons à bord du Antonio Bellucci. On visite?
On monte à bord par le pont supérieur qui court sur toute la longueur du bateau. Pendant la navigation, c’est un endroit apprécié des passagers pour se reposer en admirant les paysages traversés. C’est également the place to be lors du passage des écluses (et je peux vous dire qu’il y en a, des écluses, sur le Danube!). De jour comme de nuit, des passagers fascinés passent des heures à observer le processus de montée et descente de l’eau.
À l’intérieur, on entre par la réception, derrière laquelle se trouve le grand salon, qui se transforme également en bar. C’est le lieu de rendez-vous pour la séance d’informations quotidienne (pour discuter du programme du lendemain, poser des questions, etc) mais aussi pour traîner en journée ou prendre un verre après le repas en écoutant le pianiste. On se trouve alors à l’avant du bateau.
Le temps étant souvent mitigé, j’ai passé pas mal d’heures dans le salon durant la navigation. J’ai également pris mes quartiers dans un autre endroit commun, plus petit, qui se trouve à l’arrière du bateau. Il s’agit du Captain’s Corner, qui dispose d’une petite bibliothèque et d’une machine à café.
Le bateau compte 70 cabines réparties en trois catégories: intérieures, balcon et la suite. J’ai la chance de séjourner dans une cabine balcon, ce qui me permet de profiter de la vue sur l’extérieur et de la possibilité d’ouvrir la grande fenêtre pour me pencher, cheveux au vent (non, c’est interdit de faire ça en vrai).
Ce sont en fait des « balcons à la française »,
assez loin de ce qu’on s’imagine quand on parle de balcon.
Le Antonio Bellucci est un « 5 gouvernails » (l’équivalent des étoiles pour les hôtels), le service est donc exceptionnel. Chaque fois que je sors de ma cabine ou presque, quelqu’un s’y faufile pour refaire le lit, arranger mes affaires et changer les linges, sans oublier de laisser les 12 luminaires allumés pour une jolie ambiance. Je sais que c’est le principe des établissement luxueux, et les bateaux n’y échappent pas, mais c’est un peu trop quand même. Et genre, on en parle de ça?:
La vie à bord
Le rythme est trèèès tranquille. Presque un peu trop pour moi, mais je sais que je ne suis pas la cible de ce type de voyages. Chaque journée se passe plus ou moins de la même manière. Durant la nuit ou tôt le matin, le bateau accoste dans le port d’escale. Vers 8h, après avoir déjeuné, les passagers ont rendez-vous pour l’excursion organisée par la compagnie (s’ils s’y sont inscrits – les excursions sont en supplément, j’en parle dans la suite de l’article).
À midi, on est de retour à bord pour manger soit au restaurant (qui se trouve au pont inférieur, soit presque au niveau de l’eau), soit au salon où un petit buffet de salades suffit pour un diner léger. L’après-midi est généralement consacré à la navigation et ce sont des moments que j’apprécie beaucoup. La plupart de mes compagnons de voyage ont déserté les parties communes du bateau, sieste oblige, et j’en profite pour explorer, travailler, lire et traîner sur le pont supérieur.
J’admire les paysages traversés. Les premiers jours, c’est un décor peint en vert que m’offre la vallée de la Wachau et ses collines vêtues de forêts. Elles font d’ailleurs écho à la couleur du Danube, qui n’a rien à voir avec ce que Strauss laisse penser dans sa plus célèbre valse…
Le repas a lieu vers 19h30 en général. Le premier soir, je découvre la table à laquelle j’ai été placée et ses occupants, avec qui je partagerai les repas durant tout le voyage. Deux copines du Haut-Valais qui ne parlent pas vraiment le « bon » allemand, un homme barbu et discret ainsi qu’une femme bavarde qui me semble surtout être en vacances de son mari. L’ambiance est vraiment sympathique et le repas excellent.
Photo du site de Thurgau Travel (et au premier plan, c’est d’ailleurs « ma » table)
Les excursions
Lorsque tu réserves ta croisière avec Thurgau Travel, tu peux choisir de participer aux excursions ou pas, moyennant un supplément. Pour chaque escale un programme est prévu pour te permettre de visiter les villes sans rien manquer, puisque tu as peu de temps (quelques heures en général). Tu peux sélectionner les excursions qui t’intéressent ou choisir le forfait de base, qui comprend « l’essentiel » de ce qu’il y a à voir et éventuellement ajouter des excursions supplémentaires qui ont lieu l’après-midi ou le soir. Pour te donner un exemple, à Budapest on pouvait participer à l’excursion de base le matin, qui consistait en un tour de ville en bus avec arrêt aux endroits les plus connus. Une autre excursion était organisée l’après-midi (elle coûtait dans les 20 euros) avec un tour du centre-ville à pied, puis en métro, et des visites plus spécifiques comme l’opéra ou le marché couvert.
On m’avait réservé le forfait, et j’ai trouvé le programme plutôt cool. Les excursions sont généralement menées par un guide local et chaque visiteur suit ses commentaires grâce à des écouteurs. Tu visualises? Un groupe d’une quarantaine de personnes, avec des écouteurs et un truc bleu estampillé « Thurgau Travel » autour du cou… Oui, c’est le sommet du cliché du voyage organisé. Vraiment. Mais une fois de plus, pour le public à qui ces voyages s’adresse, c’est l’idéal.
Tu peux également décider de ne pas réserver ces excursions organisées et partir visiter seul. C’est par exemple ce que j’ai fait à Vienne, car je connaissais déjà la ville et j’avais envie de voir d’autres choses que ce qui était au programme (et de passer un peu de temps sans mes potes de l’EMS, et de pouvoir marcher à une allure correcte 😂 ).
Réflexion
Durant une semaine, nous avons parcouru un peu plus de mille kilomètres sur le Danube et notre joli Antonio Bellucci a rejeté environ 30’000 litres de diesel dans le fleuve. Le chiffre est effrayant et pour être honnête, je ne suis toujours pas sûre que d’accepter de participer à ce voyage était la bonne décision. Bon, il est vrai qu’avec les quelques kilomètres en bus lors des excursions, ce diesel est pratiquement le seul carburant utilisé pendant le séjour. Divisé par le nombre de passagers et mis en perspective avec le nombre de villes visitées, le bilan est nuancé. Mais il faut également prendre en compte l’impact de la vie à bord (lumières, climatisation, etc) et le comportement des passagers.
Qu’en dit Thurgau Travel?
Avant de partir, j’avais arrangé un rendez-vous avec Pia Kaufmann, directrice adjointe de Thurgau Travel, en vue d’une interview sur ces enjeux écologiques. Je l’ai rencontrée en août et nous avons pu discuter de ce que l’entreprise prévoit pour le futur.
C’était très intéressant mais la conclusion reste décevante: bien que la problématique de la propulsion des bateaux soit un thème central de leurs réflexions, peu de solutions se dessinent pour l’instant. Le problème majeur étant que Thurgau Travel exploite beaucoup de bateaux appartenant à d’autres compagnies maritimes (ce qu’on appelle des charters). Cela les empêche (ou leur évite?) de s’occuper concrètement de la problématique et de passer à un carburant plus propre, puisque c’est la responsabilité des compagnies. Même si je pense que rien ne les force à travailler avec les compagnies en question… 🤔
Vers des solutions pour le futur
Des efforts sont quand même faits dans le domaine des croisières. La compagnie suisse Scylla a recours à ce qu’on appelle du « green diesel », une technologie GTL (gas-to-liquids) qui permet de réduire considérablement les émissions. On va éviter les détails techniques que je ne maîtrise pas, mais Scylla a reçu un prix de l’innovation pour cela et Thurgau Travel affrète quelques bateaux de cet armateur.
Par ailleurs, Thurgau Travel collabore avec myclimate (le site pour compenser tes émissions – si tu ne connais pas, va vite voir!) sur le projet « Cause we care » qui prône la durabilité dans le tourisme. Pia explique: « À l’avenir, nos clients auront la possibilité de compenser financièrement leur impact écologique en reversant un pourcentage du prix de leur voyage. Le même montant que celui déposé par nos clients sera également versé par Thurgau Travel. 50% des recettes vont à des projets de protection climatique menés par myclimate, les 50% restants nous reviennent et sont investis dans des mesures qui visent à rendre nos produits plus durables et, surtout, plus écologiques. » Je crois que c’est un pas encourageant pour responsabiliser les voyageurs mais aussi les entreprises.
Par ailleurs, les solutions électriques voient le jour. Aux Pays-Bas et en Belgique, une flotte de cargos électriques est en construction et en Norvège, un ferry circule ainsi depuis juillet. À noter que pour que cette alternative soit valable, il faut évidemment que l’électricité soit issue d’une source durable (solaire, hydraulique, etc).
Pour conclure
J’ai passé une magnifique semaine sur le Danube et j’ai été séduite par les villes visitées et l’ambiance si particulière d’une croisière fluviale. Je ne pense pas renouveler l’expérience en raison des enjeux environnementaux soulevés ici, mais j’ai bon espoir pour que les choses changent. Peut-être que l’avenir s’annonce plus vert et je suis sûre que cela redonnerait au Danube sa couleur bleue mythique 😉
Bref, j’espère que cet article un peu différent t’aura intéressé. N’hésite pas à me dire ce que tu en penses en commentaires. Je reviens très vite te raconter les escales magnifiques de ce voyage, mais pour l’heure on se quitte sur cette jolie vue du pont supérieur en début de soirée.
Pour compléter
- Plus d’infos sur Thurgau Travel
- Mon interview avec Pia Kaufmann sera publiée dans le prochain Magazine ATE. Si les questions de mobilité et d’environnement t’intéressent, tu peux t’abonner pour seulement 19.- par année (5 éditions) 🤷
- Plus d’infos sur Scylla et le prix de l’innovation
- Plus d’infos sur la technologie gas-to-liquids (en anglais, sorry)
- Un article sur les bateaux électriques en Belgique et aux Pays-Bas
- Le site de myclimate pour compenser tes émissions
0 commentaires
Trackbacks/Pingbacks