Au-dessus des nuages

2 mars 2025

Aux Paccots, une randonnée presque hivernale débute aux Rosalys pour rejoindre le sommet de Corbetta. Le calendrier indique un jour de février, mais c’est plutôt avril dans le ciel et novembre dans la tête.

Il s’en est passé, des choses. J’ai marché, j’ai vu des paysages, puis je suis rentrée et je n’ai pas su les raconter. La vérité, c’est que je n’arrivais plus à écrire parce que bien souvent l’angoisse me paralyse. J’ai peur de ce qui se passe et de ce que ça annonce de ce qui adviendra. Alors je m’arrête. J’attends, je guette, je rumine.

Aujourd’hui pourtant, j’ai ressenti enfin l’envie de bouger. Sortir, respirer l’air frais, toucher les sommets et jeter toute cette angoisse dans le précipice qu’ils creusent. Je suis allée aux Paccots, parce que ce n’est pas trop loin. Et pas trop haut, puisque ma jambe ne veut plus avancer elle non plus. C’est peut-être un faux mouvement. C’est peut-être un excès de mouvement à trop courir après je ne sais pas quoi. Alors j’y vais doucement. Raquettes sur le dos, j’entame la montée aux Rosalys, au bord d’une piste fermée. On ne skie pas ici. On ne skie plus. C’est trop bas, trop chaud, trop vert.

Le chemin se perd dans une forêt bruissante et magique. De la glace fige un ruisseau étroit qui serpente au pied des arbres. À certains endroits, elle s’ébrèche en petites fenêtres ouvertes sur l’eau fuyante. J’avance sur le sentier des lutins, un parcours parsemé de personnages aux bonnets pointus et d’animaux de bois. De la forêt, je débouche sur un parking désert où viendront peut-être s’attrouper les voitures coiffées de porte-skis plus tard dans la matinée. Pour l’instant, je le traverse en diagonale et monte jusqu’au lac des Joncs, gouille silencieuse assoupie sous la neige. Le tapis blanc est vieux, dur, troué de petites traces d’animaux.

Les raquettes restent accrochées à mon sac. Lorsque le soleil est dans mon dos, les bâtons ajoutent comme un carquois de flèches à mon ombre. Cet étrange personnage solitaire monte à travers les pâturages détrempés. Il fait chaud, la neige a fondu en laissant ça et là quelques taches immaculées comme des continents à la dérive sur une mer kaki.

Je lève la tête vers le sommet encore invisible et aperçois un renard un peu plus haut. Échange de regards, évaluation de la menace mutuelle, retour nonchalant à nos occupations.

Ici aussi, le téléski est arrêté. Ses assiettes oscillent à peine dans la brise légère. On dirait qu’elles ne reprendront plus leur manège. Fini les vacances de ski. Trop incertain. En s’envole plutôt au soleil, les relâches d’hiver deviennent une blague de carnaval.

J’arrive au sommet plus vite que je ne le pensais. Seule avec le soleil, je m’arrête un moment sur la vue, promenant le regard sur le tapis vallonné. Il a retenu quelques filaments de brume. C’est beau, immobile et silencieux.

J’avance sur la crête pour rejoindre le point de départ en faisant une boucle. Entre les sapins, le Léman se cache dans un duvet moelleux. Peut-être qu’il ne fait pas encore beau, au bord du lac…

Après avoir profité encore du panorama, je commence à redescendre. Le sol gorgé de neige fondue chuinte sous mes pieds, produisant le même bruit que l’homme qui déjeunait derrière moi dans le train ce matin – mais loin du wagon confiné, dans l’immensité de la montagne, cela ne gêne pas.

Je passe près de chalets et de fermes aux toits immenses comme on en croise souvent dans les Préalpes. J’abandonne les panneaux roses de l’itinéraire de raquettes pour suivre les jaunes. En direction du lac des Joncs, des passerelles en bois ont été installées pour rendre la randonnée plus agréable. L’absence de neige allège le programme : la boucle de sept kilomètres devait prendre 3h30, mais après deux heures, je retrouve déjà le lac, puis la station de ski où les familles commencent à affluer.

Je descends encore jusqu’au village des Paccots en longeant la route où monte un cortège de voitures trop grosses, trop bruyantes. Il semble que, toujours, la réalité empêche de vraiment s’apaiser. Je n’ai pas réussi à déposer mon angoisse au sommet, juste à remettre un peu d’air frais dans les rouages.


Informations utiles

▪️Itinéraire : Rosalys – Lac des Joncs – Corbetta – Lac des Joncs – Les Paccots
▪️Longueur : 7 kilomètres
▪️Dénivelé : 400 mètres
▪️Niveau : facile-moyen
▪️Détails sur SuisseMobile

1 Commentaire

  1. Marie

    C’est très beau. Merci pour vos mots.

    Réponse

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Je m’appelle Camille et je suis touriste professionnelle (entre autres). J’ai créé Lève l’encre en 2017 pour partager le récit de mes voyages à la découverte des paysages de Suisse et d’ailleurs. J’espère te donner envie de voyager, notamment en privilégiant le train – pour la planète, mais aussi parce que c’est une expérience exceptionnelle.

[photo: © Simon Brunet]

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