L’arrivée éblouissante de l’été se célèbre à travers les méandres d’une randonnée panoramique. Celle-ci relie les cantons d’Uri et de Schwytz, sur les sentiers merveilleux de la Voie Suisse. Seize kilomètres tout en contrastes, de la sérénité des forêts au vrombissement du trafic, de la douceur des rivages à l’acidité des sommets.
Enfin une nouvelle aventure, enfin un nouvel article. J’ai l’impression de ne plus savoir comment faire, après des semaines sans évasion, occupée par d’autres activités mais l’esprit peuplé de rêveuses pérégrinations. La vie s’est mue en un tourbillon de stress, de bonheur et de fatigue – des expériences aussi, un peu différentes de celles que je raconte ici. Mais aujourd’hui ça y est. Enfin une nouvelle aventure.
Il y des semaines que je guette le moment opportun pour une randonnée ensoleillée, une promenade dépaysante dans laquelle forcément miroite la surface d’un lac. La semaine passée, j’avais un peu de temps et l’envie de retrouver le charme suranné mais pittoresque des petits cantons qui tressèrent le berceau de la Suisse. Je suis donc partie pour Altdorf avec le projet de longer le bras uranais du lac des Quatre-Cantons.
Dans le train qui sillonne la Suisse centrale, le ciel traîne son humeur grise et bourdonnante qui fait s’agacer les mouches. Il fait chaud et lourd. Je contemple la crise de larmes par la fenêtre. Elle aussi est passagère : lorsque j’arrive à Lucerne où je trouve le bus qui mène à Altdorf, le sol est sec et les nuages s’estompent. À Altdorf, je prends le temps de découvrir les quelques jolies ruelles du centre historique avant de rejoindre mon lit, à deux pas du monument de Guillaume Tell.
Au petit matin, le soleil se lève dans un ciel sans nuage alors que j’embarque dans le bus pour Flüelen, le village voisin. J’ai prévu de parcourir deux étapes de la Voie Suisse. Ce sentier panoramique de 35 kilomètres a été aménagé sur la partie sud du lac des Quatre Cantons à l’occasion du 700e anniversaire de la Confédération helvétique, en 1991. Symboliquement, c’est un cadeau des cantons à leur population : chaque canton s’est vu attribuer une partie du chemin – soit 5 millimètres par habitant∙e – délimitée par des bornes frontières.
Ma promenade commence au bord du lac, à Flüelen. Un gros bateau somnole sur la surface imperturbable où se reflètent les montagnes alentours. Je n’ai pas fait vingt pas depuis la gare et me voilà déjà subjuguée par le panorama.
Le chemin déroule son tapis de goudron entre les rails et les quartiers résidentiels dans lesquels s’agglutinent des maisons cubiques sans charme. J’aperçois le bleu du lac entre leurs palissades.
Très vite, je prends un peu de hauteur pour rejoindre la route et traverser la rivière, avant de replonger dans la végétation. Le soleil du matin coule ses rayons diaphanes entre les feuillages. C’est doux. L’ombre maintient une agréable humidité, pour le plus grand plaisir des gros escargots qui traversent le chemin. Mais le calme est relatif ; au-dessus de ma tête circulent les voitures, sous mes pieds passe le train.
Le sentier descend encore, puis grimpe et la vue s’ouvre sur le lac. Je traverse une passerelle, contemple le vert autour de moi, le village de Flüelen derrière, les montagnes en face.
Alors que je m’émerveille de cette carte postale, le chemin rejoint la grande route et la magie s’évapore. La vue n’a rien perdu de sa beauté mais elle s’alourdit du bruit, de l’odeur et du danger des véhicules qui passent à deux pas de moi. La route perfore les impressionnantes falaises, ses tunnels amplifiant le grondement du trafic. En contre-bas, un paddle et deux kayaks avancent silencieusement, froissant à peine le drap de l’eau dormante.
Je retrouve avec plaisir la forêt dans une suite d’escaliers qui dégringolent en direction du lac avant de prendre à nouveau de la hauteur. J’en profite pour enlever mon pull, l’effort le rendant superflu, lorsque j’entends un carillon. C’est le «glockenspiel» qui s’est mis en marche à quelques pas d’ici. L’impressionnante installation de cloches est programmée pour jouer quelques mélodies cristallines. Chaque heure et pendant 10 minutes, passantes et passants peuvent activer le glockenspiel à la manière d’un jukebox et profiter de sa musique en contemplant le paysage.
Je continue ma route jusqu’à la chapelle de Guillaume Tell, tout au bord de l’eau, et m’arrête devant sa double voûte ornée de peintures. Le petit édifice a notamment inspiré le compositeur Franz Liszt et les peintres William Turner et Hendrik Johannes Knip (ci-dessous), qui rendirent hommage à la beauté et la sérénité du lieu.
Le chemin longe le lac jusqu’au débarcadère de Tellsplatte où les jambes fatiguées profiteront de la buvette pour une petite pause ou de l’arrivée du bateau pour quitter le sentier et rentrer sans effort. Pour ma part, je continue en direction de Sisikon, que j’atteins après encore bien quelques escaliers escarpés. C’est la fin de la première étape.
La seconde étape me mènera jusqu’à Brunnen et annonce un revigorant dénivelé. Sisikon offrant peu de trésors devant lesquels s’émerveiller, je dépasse rapidement les maisons pour entamer la montée. Je m’éloigne du lac en direction des pâturages.
Ça monte, il fait chaud. Heureusement, de nombreux bosquets permettent de profiter d’une ombre bienvenue. Ils se transforment en forêt où pénombre et fraîcheur m’accueillent. Ça monte encore, le sentier se mue en escaliers et quitte les arbres à mesure que l’on s’élève.
La vue est à nouveau dégagée et, le souffle court, je laisse mes yeux dévaler le vert acidulé des pâturages et plonger dans le bleu du lac.
C’est sublime. Il y a quelques fermes éparses, des moutons bavards et des vaches pensives. Je suis arrivée au point culminant de la randonnée, où je joins mes commentaires extasiés à ceux d’une promeneuse âgée et d’un couple visiblement exténué, arrivé en sens inverse.
À partir d’ici, je marche sur une route goudronnée que je partage avec quelques véhicules. Le petit drapeau sur les panneaux de randonnée jaunes m’indique que j’ai passé la frontière (après vérification, elle se trouvait juste après Sisikon) et que je marche maintenant dans le canton de Schwytz. La descente en direction de Brunnen est un peu moins agréable puisqu’elle se fait sur la route et sans grande visibilité. J’admire quand même quelques jolies maisons aux fenêtres fleuries de géraniums. La vie semble paisible ici, mariant douceur et lenteur.
Arrivée dans le village de Morschach, le bus pour Brunnen attend, portes ouvertes sur son ventre vide. J’hésite à y monter, la plus belle portion de la randonnée étant déjà avalée, mais décide finalement de poursuivre à pied. Je marche le long de la grande route, enchaînant les lacets sans charme, croisant voitures et motos et regrettant mon choix. Heureusement, voilà que le sentier quitte le goudron pour se perdre dans la forêt. Le lac scintille entre les arbres, la vue se dégage et me fait profiter encore une fois du panorama sur le lac des Quatre-Cantons. Brunnen n’est plus très loin.
Après environ 4h30 de marche, j’atteins ma destination en début d’après-midi. Sur la promenade lacustre, la foule grouille devant le débarcadère et sur les terrasses ensoleillées. La gare n’est qu’à quelques centaines de mètres, la maison à quelques heures de train.
Infos utiles
⛰ Itinéraire: Flüelen – Sisikon – Morschach – Brunnen (itinéraire 99 de SuisseMobile)
⛰ Durée: environ 4h30 (2h30 Flüelen – Sisikon puis 2h Sisikon – Brunnen)
⛰ Longueur: 16,1 kilomètres, ↗ 590 mètres ↘ 590 mètres
⛰ Difficulté: techniquement facile, physiquement moyen
C’est sublime ! La randonnée a l’air magnifique 🙂
Merci beaucoup pour ton commentaire 🙂