Brumeuse idylle au Seebergsee

7 août 2023

Dans le canton de Berne, le Parc naturel du Diemtigtal tisse le décor de sublimes randonnées. Depuis Zweisimmen, on lève la tête sur des sommets invisibles et de fougueuses promesses: derrière cette effilochée de nuages se cache le Seebergsee, petit lac alpin aux berges sauvages.

Dans le train du matin, une discrète émulation remplace la morne somnolence des pendulaires de la semaine. Loin des costumes austères, des chaussures en cuir et du café fumant, baskets légères, k-ways fluos et gourdes en alu ont investi le wagon. Bref, c’est samedi au pays de la rando, et la montagne nous appelle.

Il y a quelques semaines, j’ai acheté le très beau livre «Wild swim», de Steffan Daniel, dans lequel l’auteur compile une sélection de lacs et de rivières où se baigner en Suisse. Une fois n’est pas coutume, c’est dans ses pages que j’ai plongé plutôt que sur Instagram pour trouver ma prochaine vadrouille. Je me suis arrêtée sur la photo du Seebergsee, où les icônes «lac alpin» et «randonnée» ont achevé de me convaincre.

Le petit lac sauvage se cache au cœur du Parc naturel du Diemtigtal, dans le canton de Berne. Parmi les différents points de départ permettant de rejoindre les sommets, j’ai choisi Zweisimmen, où j’arrive aux premières heures. Le ciel chagriné traîne ses nuages confus dans les sapins. Il fait frais, je m’élance donc sans tarder.

D’ici, il faut que je rejoigne Mannried puis Grubenwald, tout petits villages au nord de Zweisimmen. J’avance le long des voies de chemin de fer puis de la route, faisant confiance à mon instinct car je n’ai pas encore rejoint l’itinéraire officiel. C’est probablement une erreur, car l’entreprise s’avère plutôt dangereuse lorsque le trottoir disparaît au profit d’une étroite bande d’herbe le long d’une route principale. Heureusement, ce n’est pas long et j’atteins déjà le «Forellensee», petite gouille aux eaux cristallines.

Juste après le lac, je bifurque à droite et traverse les flots de la Simme. À Mannried, les jolis chalets de bois sont ornés de géraniums écarlates et de lourdes cloches. Celles et ceux qui y vivent en soignent aussi bien la décoration que le potager, où fleurs et légumes foisonnent. Dans les pâturages, les balles rondes sont comme de grosses guimauves dispersées sur l’herbe humide. Je repère les premières flèches jaunes et les suis à travers la forêt.

À Grubenwald, je slalome entre les limaces ravies de la météo et trouve le premier panneau indiquant «Seebergsee». C’est ici que débute l’ascension ; près de mille mètres de dénivelé à parcourir sur neuf kilomètres de lacets bitumineux.

La route est bordée d’herbes fleuries, de buissons de baies et d’arbres détrempés. Je prends de la hauteur en admirant la vue sur la vallée brumeuse, certaines que les nuages de dissiperont bientôt. Le matin enveloppe le décor de son aura silencieuse et magique. Mais soudain, des tirs résonnent. Au stand situé en contre-bas, on s’entraîne en transperçant la quiétude de la montagne. L’écho régulier des tirs rythme mon ascension. J’avance le cœur battant et le souffle court, dépassant fermes et chalets, rencontrant vaches et voitures.

Le temps passe et la brume s’accroche. Faisant le deuil d’un rayon réconfortant, je m’émerveille plutôt devant l’atmosphère qu’elle compose, épique et mystérieuse. Après quelques heures de montée continue, le sentier m’offre la distraction d’une douce plongée avant d’attaquer le dernier effort jusqu’à la crête de la montagne. Immobiles, des vaches noires et blanches trônent au sommet. Elles se détachent du ciel blanchi par les nuages et font penser aux œuvres de papier découpé, dentelles traditionnelles qu’on fabrique minutieusement dans certaines régions alpestres.

Je viens d’atteindre Meienberg, le replat à partir duquel la randonnée s’éloigne du béton. «Seebergsee : 35 minutes», annonce la flèche jaune «Terre en vue», traduisent mes jambes fatiguées par l’ascension. Un petit frigo propose des boissons et du fromage d’alpage en vente directe. J’achète une limonade pour plus tard et m’aventure sur l’étroit sentier qui court dans les herbes jaunies. Alourdi par les nuages gris, le ciel peint un décor exceptionnel. Le sol est marécageux, un mince miroir d’eau remplit ses sillons.

Après une dernière ascension caillouteuse, je rejoins la crête de la montagne et me laisse happer par la vue étourdissante. Il est là, à mes pieds. Comme une fenêtre ouverte sur le ciel, le Seebergsee étend sa surface plane sur le tapis bosselé de la montagne. Il m’arrive rarement de découvrir un lac de montagne depuis les hauteurs. C’est une vertigineuse expérience. J’en redescends en marchant jusqu’au rivage où je contemple le jeu de reflets qui s’instaure entre l’eau, la pierre et le ciel. Je pensais trouver ici un lac d’un turquoise vibrant, scintillant sous le soleil d’été, mais la météo du jour le rend mystique et impénétrable. C’est sublime.

Après avoir arpenté les berges sauvages du Seebergsee, je poursuis ma route en direction de nouvelles cimes. Je rejoindrai en effet Zweisimmen par l’autre versant de la montagne. Le sentier s’élève entre les sapins dans un décor qui évoque l’Irlande. Après un quart d’heure seulement, j’atteins le restaurant d’alpage Stierenberg dont la terrasse presque déserte m’accueille pour une petite pause. Le «Fruchtkuchen» du jour est orné d’abricots, le café soluble et la vue magnifique.

J’entame la dernière montée du jour alors que, sur le sentier ou juste à côté, des vaches me regardent passer de leurs yeux indifférents. J’en ai vu des dizaines de paires aujourd’hui. Rien de surprenant puisque le Diemtigtal compte la plus importante communauté agricole alpestre de Suisse. Pendant la période de l’estive, ses alpages accueillent plus de 10’000 vaches, bœufs, moutons et chèvres.

Autour de moi, les cimes grises et vertes réveillent des souvenirs d’enfance. Je revois la surface râpeuse des montagnes creuses sous lesquelles passait le train électrique, nos petites mains qui déplacent les rails, la sensation du tapis moelleux de la salle de jeux.

Un portail marque le sommet et amorce une plongée dans le brouillard. Si la montée de ce matin était exigeante, la descente relève d’une nouvelle épreuve – entre sentiers boueux, herbes humides et pâturages glissants. Heureusement, la vue est savoureuse. Elle s’ouvre sur la vallée, qui dévoile ses charmes au gré de la danse du brouillard. Encore des vaches, parfois des chalets.

Je rejoins un sentier plus praticable que bordent des petits sapins dodus. Partout autour palpite une foule de fleurs. Jaunes, roses, blanches, violettes : elles parfument et colorent les herbes hautes. L’objectif n’est plus très loin, j’aperçois les toits de Zweisimmen en contre-bas. Il faut encore franchir la forêt en dévalant un petit chemin de terre avant de rejoindre les premières maisons.

La randonnée prend fin à la gare de Zweisimmen. Dans cette région, on court toujours le risque de tomber sur un train sublime. À cette heure, c’est le GoldenPass Panoramic qui ramènent les randonneur∙ses en direction de Berne. Les baskets légères, k-ways fluos et gourdes en alu sont peut-être les mêmes que ce matin. Et peut-être que lundi, leurs propriétaires remettront leurs habits gris et leurs chaussures propres pour un autre voyage. Mais avant cela, on profite de rêvasser à la vaste fenêtre du train en admirant la caresse narquoise du soleil sur les montagnes. «Me voici enfin», semble-t-il dire.


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4 Commentaires

  1. Sandra

    Magnifique 🤩

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  2. Martial Brodard

    Bonjour,
    Très bel article, merci pour cette bonne recommandation.

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  3. Pascale

    Bravo et merci Camille pour ce magnifique partage supplémentaire

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  4. pierrettej

    Superbes images <3
    C'est une longue rando … perso je me contente d'admirer les photos .
    Je suis allée de Meiringen à Grindelwald … en car postal LOL Ce doit être encore plus beau en mode rando !
    Belle journée à vous .

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Je m’appelle Camille et je suis touriste professionnelle (entre autres). J’ai créé Lève l’encre en 2017 pour partager le récit de mes voyages à la découverte des paysages de Suisse et d’ailleurs. J’espère te donner envie de voyager, notamment en privilégiant le train – pour la planète, mais aussi parce que c’est une expérience exceptionnelle.

[photo: © Simon Brunet]

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