Autour des Gastlosen

12 octobre 2025

Leurs arêtes calcaires pointent vers un ciel sans nuage, dessinant un décor époustouflant. Contrairement à ce que leur nom suggère, les Gastlosen ne souffrent d’aucune solitude, prises d’assaut par les adeptes d’escalade et de randonnée.

Il y a plus de 30 ans que je vagabonde sur cette terre, mais il reste des incontournables que j’ai pourtant contournés! Comme trop souvent, j’errais sur la carte de SuisseMobile en zoomant sur tous les lacs sur lesquels j’ai déjà zoomé, cherchant la destination idéale pour ma promenade du lendemain. Il était déjà plus de 22h, et je n’arrivais pas à me décider, la voix dans ma tête trouvant toujours un défaut à chaque option. Heureusement, une voix hors de ma tête m’a suggéré de partir sur un classique en faisant le tour des Gastlosen. Il faut bien reconnaître que les classiques ne le deviennent pas sans raison, et que quand le départ est dans une poignée d’heures, mieux vaut miser sur des itinéraires éprouvés.

Je craignais que tout le monde profite de ce samedi d’automne au goût de soleil et de vacances scolaires pour s’aventurer du côté des Gastlosen. À la gare de Fribourg, une dizaine de personnes en tenue de randonnée attend en effet le bus pour le Jaun. Mais, comme si l’histoire avait été écrite par Agatha Christie, les protagonistes nous quittent les uns après les autres à mesure que nous approchons de la destination. Et il n’en resta plus qu’une. Enfin, trois, mais les deux autres prennent le chemin du village alors que je me dirige vers le départ du Gastlosen Express. Le télésiège s’enfonce dans l’épais nuage de brume qui cache les montagnes. Dans la nuit blanche, je frissonne.

En haut, le soleil éclaire le paysage d’une lumière diaphane. Il fait encore froid, mais la teinte orangée des arbres n’en veut rien laisser paraître. Le tour des Gastlosen débute sur un large chemin de cailloux bordé de quelques sapins. Sur ma droite, le paysage s’ouvre sur la vallée du Jaun dans laquelle couve une mer de brouillard. Le dos de quelques collines hérissées d’arbres émerge de la surface. En arrière-plan, beaucoup plus haut, une chaîne de montagnes râpeuses se découpe sur le ciel bleu. Elle cache le lac Noir et bien d’autres terrains de jeux pour les adeptes de promenades préalpines.

Il ne faut pas marcher bien longtemps pour apercevoir les reines du jour. Comme un gigantesque dentier, le profil acéré des Gastlosen prend soudain toute la place sous mes yeux. Les «inhospitalières» déploient leurs 61 sommets dentelés – presque menaçants. Le chemin plonge dans une forêt clairsemée où l’automne offre son plus beau spectacle. Entre les feuillages, les parois de calcaire veillent.

Après la descente vient toujours la montée, et la journée n’aura de cesse de me le rappeler. Je serpente entre les arbres et les grosses pierres grises sur lesquelles je peine à repérer les coups de pinceau indiquant l’itinéraire. J’entends des éclats de voix, aperçois leurs propriétaires et les dépasse à la sortie de la forêt. Nous arrivons sur une route plus large et bien fréquentée qui grimpe jusqu’au chalet du Soldat. L’effort fait s’emballer mon cœur, la vue encore plus. Derrière moi, sous les parois de calcaire des Gastlosen, une vaste forêt déploie ses couleurs.

Arrivée sur l’arête, j’embrasse la vue du regard. On peut profiter de la terrasse du chalet pour une petite pause, et même y passer la nuit en été comme en hiver. Je continue sur le sentier géologique sans vraiment m’attarder sur les panneaux didactiques qui racontent la formation des montagnes. Le dénivelé s’accentue, et le tapis de gravillons rend la montée périlleuse. Mieux vaut ne pas trop réfléchir ici. Je garde les yeux au sol et progresse prudemment. Sur la partie la plus technique, une chaîne vient sécuriser le passage.

Enfin, je franchis les Gastlosen et reçois la caresse du soleil en guise de récompense. Après près de deux heures de marche à l’ombre, le changement de décor est saisissant. J’arrive de l’automne avec un gros pull, un bonnet et le bout du nez glacé, et me voici soudainement presque en été. La lumière m’éblouit et la chaleur me pousse à enlever une couche de vêtements.

Le sentier avance sur la crête avant de descendre dans un immense pâturage où bourdonne tout un monde ailé. Sur la gauche, je vois maintenant le verso des Gastlosen dont je viens de longer le recto. La vue s’ouvre en face sur les Alpes. Un peu derrière moi, une famille marche dans la même direction et j’écoute le père désigner et nommer les différents sommets à l’attention de ses enfants. Un traileur me dépasse juste avant que je croise un couple, un deuxième puis un groupe d’amies équipées pour l’escalade. Il y a du monde, mais ça reste agréable.

Je retrouve l’abri doré de la forêt sur un étroit sentier bordé d’un ruisseau. Il rend le sol humide et glissant, mais les nombreuses racines permettent de négocier la descente. Et ça remonte entre les arbres, avant de descendre à nouveau pour rejoindre une route goudronnée. Elle grimpe jusqu’au Chalet Grat où un écriteau invite à savourer des rösti maison, un rivella ou une glace. La terrasse chauffée par le soleil est bien remplie, je préfère donc décliner. À partir d’ici, il me reste à contourner la montagne pour retrouver le point de départ. Je descends longuement sur un chemin couvert de feuilles, retrouve la forêt où des marches en bois facilitent mon avancée. Lorsque les branches m’en donnent l’occasion, je capture la vue sur le versant d’en face et la cascade d’arbres qui le décore.

Il faut ensuite avaler encore quelques centaines de mètres en montée pour retrouver la silhouette et le ronronnement du télésiège. On peut alors suivre les deux lacets qui mènent à son terminus ou ajouter une heure à la promenade pour rejoindre le village à pied. Je choisis la première option et remonte profiter encore un moment du soleil sur la terrasse de la petite buvette. En bas, le couvercle nuageux qui emprisonne la plaine n’a pas daigné se dissiper.

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Je m’appelle Camille et je suis touriste professionnelle (entre autres). J’ai créé Lève l’encre en 2017 pour partager le récit de mes voyages à la découverte des paysages de Suisse et d’ailleurs. J’espère te donner envie de voyager, notamment en privilégiant le train – pour la planète, mais aussi parce que c’est une expérience exceptionnelle.

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