Aux portes de la Transylvanie, Braşov me submerge – d’abord par sa taille, puis par son charme. Une fois que j’ai compris le fonctionnement des bus locaux, plus rien ne m’arrête et je m’égare jusqu’aux plus beaux châteaux de la région.
J’ai bien cru que j’allais rater mon train ce matin-là. Je piaffais au check-out de mon hôtel bucarestois, immobilisée derrière un couple en train de réserver une chambre. Il est en conversation avec le réceptionniste, elle boit une bière et porte des tongs. Il est 7h24 d’après l’horloge derrière le comptoir, et mon train part de Bucarest dans 42 minutes.
Je sors de l’hôtel prestement et tente de rejoindre l’arrêt de bus. Après vérification sur la carte, je ne suis pas dans la bonne rue et reviens sur mes pas. Après vérification en levant la tête, je ne suis pas du bon côté de la route et commence à m’inquiéter. La gare est assez excentrée et il faut vraiment que je me dépêche. Tant pis pour le bus, j’hèle un taxi et lui demande s’il peut m’emmener à la gare. «North?», «Yes, yes!», «Mmh no». Well ok. Heureusement, le prochain est plus motivé. Il est même très gentil, parle deux mots de français et fait de mon arrivée à la gare à temps la mission de sa vie. Et potentiellement la cause de notre mort.
Mais tout se passe bien, je monte même dans le train quelques minutes en avance. Le wagon est super joli et confortable, il y a des rideaux aux fenêtres et des sièges moelleux. Quelques places plus loin, un passager décide d’égayer le voyage en nous partageant de la musique. C’est sympa, l’ambiance est bon enfant et personne n’a le goût de lui demander de baisser le son. Il esquisse même quelques pas de danse mais finit par se lasser et met fin à l’animation. Un silence magique gagne le wagon alors que nous serpentons dans de sublimes paysages. Le ciel est bleu électrique mais les nuages d’abord blancs et cotonneux prennent peu à peu une teinte grisâtre plus menaçante.
Je lève la tête de mon livre et le paysage me happe. Tout est tellement beau dehors. Je réalise que c’est exactement ce que j’étais venue chercher: des forêts enflammées, des petits villages, des montagnes de plus en plus escarpées. Mon regard s’accroche à une maison rose ornée d’une arche en pierre sous laquelle sèchent des vêtements sur une corde à linge. J’aperçois un cimetière piqué de tombes en pierre biscornues. Puis une femme habillée d’une doudoune rose sous laquelle elle porte une longue jupe sombre et un tablier blanc noué autour de la taille. Des routes sinueuses encombrées de camions de chantier et des hommes en tenues réfléchissantes. Plus loin, un vieillard avec un bâton et un bonnet gris qui s’occupe d’une vache seule dans un étroit pré vert accolé à la paroi rocheuse. Et soudain, la ville, les enseignes, les entrepôts, les immeubles et les maisons.
Depuis la gare de Braşov, je longe une allée encadrée par des immeubles ni vraiment austères, ni vraiment accueillants. Sur le large trottoir, il y a surtout des personnes âgées – en même temps, on est lundi 10h. Elles se ressemblent, coiffées d’un chapeau ou d’un fichu pour les femmes, vêtues d’une veste sombre et très souvent munies d’un sac en plastique rempli de menues courses.
Pour les trois prochaines nuits, je dors chez l’habitante. Ranuca et sa maman m’hébergent dans une maison cossue protégée par une haute palissade de bois. Le quartier est très calme mais aussi très éloigné du centre. Mes affaires déposées, j’entreprends de le rejoindre et cela me prend près d’une heure. À l’arrêt de bus, il n’y a aucune carte du réseau, seulement l’indication du numéro des lignes et le nom des terminus. J’achète un billet, monte au hasard, arrive plus ou moins à destination et finis le chemin à pied.
Je ravale très vite mon exaspération, car le centre-ville est simplement magnifique. Pittoresque, avec ses maisons basses aux façades pastel, et avenant. Colonisée par les Saxons au Moyen-Âge, Braşov a rapidement prospéré et s’est développée autour du centre, où essaimèrent alors de belles maisons aux façades pastel. Une fois encore, les restaurants persistent à nier l’arrivée de novembre et déploient leurs terrasses dans les rues piétonnes. Il faut dire que le soleil y contribue en chauffant les pavés.
J’ai suivi une rue qui me plaisait et la voilà qui débouche sur la place centrale de Braşov, agrémentée d’une fontaine et délimitée par un arc-en-ciel de façades. Juste derrière leurs toits se détache le contour menaçant de l’Église Noire, dont la taille imposante contraste avec les autres monuments. C’est la plus grande église gothique d’Europe de l’Est. Son intérieur ne vaut pas vraiment la visite, à mon avis, mais son bel extérieur donne un caractère unique au centre de Braşov. Autour de l’église, le sol n’est pas pavé ni goudronné; la terre battue crée une ambiance villageoise étonnante, après le quadrillage géométrique qui tapisse la place de la Citadelle.
Braşov est tout en relief dont le plus conséquent est la colline Tâmpa. À son sommet trônent les lettres blanches qui forment le nom de la ville – un peu à la Hollywood, ouais. On y grimpe à pied en un peu moins d’une heure ou en téléphérique lorsqu’il n’est pas en «defecțiune tehnică». Depuis le centre-ville, deux ou trois ruelles et une volée de marches conduisent au départ de la promenade.
Deux indices simultanés refroidissent quelque peu mes ardeurs. Au pied du téléphérique, un panneau rappelle que j’entre ici dans une zone de protection de la nature et qu’il est formellement interdit de s’aventurer en dehors du sentier balisé au risque de rencontrer la faune sauvage – renards, lynx et ours, notamment. Alors que je lis l’avertissement, une fille en chaussures de rando glisse sur les feuilles mortes et chute dans l’escalier juste derrière moi. Rien de grave, mais assez pour me faire jeter un œil dubitatif à mes baskets aux semelles bien lisses. Bon, il s’agira d’être prudente.
Le sentier plonge directement dans la forêt, que l’automne et la fin de journée embrasent intensément. C’est magique, en deux minutes on s’extirpe de la ville pour se fondre dans la nature. Le chemin étroit et caillouteux, rendu glissant par les feuilles mortes, trace un enchaînement de lacets sous les câbles du téléphérique. Très vite, le panorama perce entre les branches des arbres et esquisse de belles promesses. Je marche vite, probablement mue par la pensée des ours qui rodent derrière les troncs d’arbres. Je réfléchis au fait que je n’ai aucune idée du comportement à adopter en cas de rencontre impromptue et ça me fait penser à ce très bon livre que j’ai lu l’hiver passé.
Il me faudra finalement une grosse demi-heure pour atteindre le sommet et me faufiler derrière les grandes lettres blanches. La vue est époustouflante. Je contemple les contours de Braşov, la place centrale , l’ancien hôtel de ville devenu musée d’histoire et l’Église Noire, toujours aussi démesurée vue d’en haut.
On distingue aussi très bien les différentes collines qui façonnent la topographie bosselée de la ville. D’ici, la citadelle semble bien modeste. J’y suis montée la veille et ai été plutôt déçue de trouver une porte fermée et une vue obstruée par la végétation. La colline Tâmpa vaut bien davantage la peine.
Braşov est le point de départ idéal pour visiter deux châteaux emblématiques de Roumanie. Je commence par celui de Bran, qui aurait inspiré Bram Stocker dans l’écriture de son Dracula. Je prends le bus jusqu’à la gare routière où je monte dans un vieil autocar tout en couleurs. Après 45 minutes de voyage, j’arrive à Bran au pied du château.
L’endroit est très touristique, comme en témoignent les nombreuses échoppes qui forment un petit marché à l’entrée du site. On y vend des t-shirts à l’effigie du vampire, des peaux d’animaux et de l’artisanat plus ou moins local.
Juché sur un rocher, le château de Bran offre un décor exceptionnel. Je traverse le petit parc avec excitation et curiosité avant de rejoindre l’entrée.
À l’intérieur, je découvre une succession de pièces étroites et irrégulières au plafond bas. Le caractère labyrinthique de cet agencement colle parfaitement avec le souvenir de ma lecture de Dracula. Pourtant, Vlad Ţepeş – qui inspira le personnage, comme évoqué dans l’article précédent – n’a jamais vécu ici et il est plaisant de constater que le château n’est jamais devenu un Disneyland vampiresque.
Au contraire, on y découvre la réelle histoire de la forteresse, sa construction au 14ème siècle sur mission du roi de Hongrie, l’occupation par les Saxons, puis les Habsourg et finalement par la famille royale de Roumanie. J’ai surtout adoré découvrir l’histoire de la Reine Marie, qui y vécut dans les années 1920. Fougueuse, audacieuse, elle joua un rôle majeur pour la Roumaine durant la Première Guerre mondiale.
La visite est très bien faite. On serpente dans un dédale de pièces, d’escaliers et de passages secrets qui débouche sur une petite terrasse au sommet du château. Après avoir contemplé la vue sur les Carpates, on redescend jusqu’au sol pavé de la petite cour intérieur avant de rejoindre le parc. J’ai adoré cette visite. Du château de Bran émane une ambiance unique, presque mystique.
Le jour suivant, je suis allée visiter le château de Peleş, que je savais très différent. Le train m’y emmène en une petite heure depuis Braşov. Il faut ensuite grimper des escaliers, traverser le parc qui entoure le très beau casino de Sinaia, monter jusqu’au monastère orthodoxe et enfin s’enfoncer dans la forêt.
Des dizaines de cabanes en bois tentent de happer les touristes avec les mêmes produits qu’à Bran ou presque. De l’artisanat en bois côtoie des peluches de Pikachu, on trouve des broderies, des écharpes, du nougat et des petits paniers de fruits rouges. En contre bas du chemin coule une rivière qui chante une mélopée cristalline. Après les contours élancés et l’ambiance presque tourmentée du château de Bran, je découvre celui de Peleş, plus trapu, lové au milieu des forêts de Sinaia.
À la caisse, trois options s’offrent au public: visite du rez-de-chaussée du château, ajout du premier étage pour 50 lei supplémentaires (près de 10 francs, quand même) et ajout du second pour 50 autres lei. Je choisis le bon compromis vaudois et achète un billet pour la visite du rez et du premier. À l’intérieur, je me laisse éblouir par la richesse de la décoration, entre boiseries sombres, vastes lustres, colonnes, statues, marbre et tableaux. La touffeur brillante et enivrante de cet endroit ainsi que la foule qui louvoie d’une pièce à l’autre me donnent le tournis.
La visite du premier étage, beaucoup moins fréquenté, permet de reprendre son souffle et d’entrer davantage dans l’intimité du lieu et de ses pensionnaires. Il était notamment la résidence d’été pour la famille royale puis celle du dictateur Nicolae Ceaușescu. Je traverse les innombrables chambres et salles de bain, découvrant avec émerveillement une succession de styles décoratifs et de couleurs.
Je ressors finalement du château et me laisse éblouir par le soleil. La visite m’avait privée de ses rayons, les fenêtres étant souvent masquées ou décorées de vitraux. À l’extérieur du château, le parc offre un joli coin de verdure agrémenté de nombreuses statues. J’ai bien aimé cette visite également.
En séjournant à Braşov, je conseille vraiment de visiter les deux châteaux et de savourer leur complémentarité. Bran était dépouillé et impassible, Peleş est riche et chaleureux. Pour l’anecdote, il fut d’ailleurs le premier château d’Europe à disposer de l’électricité dans les années 1870.
Informations utiles
À l’image du précédent consacré à Bucarest, cet article sur Brasov est un long texte qui découle directement des gribouillages de mon carnet de voyage. Lève l’encre n’a pas vraiment la vocation de proposer des guides ou de recommandations, c’est davantage pour moi l’endroit où compiler le récit et les souvenirs de mes pérégrinations, avec le regard volontairement subjectif de celle que j’étais au moment de ces découvertes.
Mais si tu prévois de visiter Braşov, voici un résumé plus lisible de ce que je te recommande d’y faire:
▪ visiter le centre-ville, la place du Conseil, l’Église Noire
▪ passer devant la synagogue et sa façade orangée
▪ grimper la colline Tâmpa pour la meilleure vue possible sur la ville
▪ traverser «la ficelle», ou strada Sforii, l’une des ruelles les plus étroites d’Europe
▪ prendre le bus pour le château de Bran
▪ prendre le train pour le château de Peleş
▪ goûter la cuisine locale chez Mămăliguță (strada Republicii 20)
▪ boire un très bon café chez Tipografia (strada Postăvarului 1)
Si j’avais eu plus de temps, j’aurais ajouté à mon séjour:
▪ la visite de Rasnov et de sa forteresse
▪ une promenade jusqu’à la Tour Noire et la Tour Blanche
Ce que j’ai fait mais ne recommande pas forcément:
▪ monter à la Citadelle de Braşov
▪ visiter l’intérieur de l’Église Noire
▪ acheter un chocolat «ROM» affublé d’un drapeau roumain en pensant goûter un truc local et découvrir qu’il s’agit d’un chocolat à l’arôme de rhum
Bonjour,
Très belles découvertes de la Roumanie sur votre site. Je prévois un voyage l’été prochain et vous me donnez de bonnes idées.
Meilleures salutations,
François
Oh c’est génial, contente que cela vous inspire 🙂
Bonne découverte de la Roumanie!
Magnifique 🤩
Votre article me donne le gout de faire le saut! Vraiment intriguant le Chateau de Bran! J’adore les petits details et conseilles! Bravo!
Merci Richard! Tout de bon par chez vous 🙂