Dans la forêt du Risoud

30 décembre 2023

Au cœur de bois mystérieux où se perdent des sentiers labyrinthiques poussent des arbres exceptionnels. Depuis le Brassus, on plonge dans la forêt du Risoud à la rencontre d’épicéas centenaires qui deviendront des pianos, des harpes et des violons.

«La Vallée». Ses vastes pâturages, ses collines boisées et ses villages au charme d’antan. Il règne ici une atmosphère unique, une enveloppante mélancolie qui se noie dans l’immensité de ses combes au sol tourbeux. J’y reviens régulièrement, assoiffée de savourer la beauté de cette région, la lenteur et le caractère rassurant de ce qui change trop lentement pour qu’on s’en aperçoive.

Ce matin, le train file le long du lac de Joux où s’égrainent les arrêts sur-demande – Le Pont, Les Chabonnières, Le Lieu, Les Esserts-de-Rives, Le Solliat-La-Golisse, Le Sentier-L’Orient, Chez-le-Maître-Ecoles. Le convoi est désert à l’exception de deux petites filles coiffées de bonnets à pompons, accompagnées de leur grand-père.

Le Brassus, terminus, tout le monde descend. Les rues du village ne sont pas plus peuplées que le wagon. Arrêtée au pied du totem de panneaux jaunes de randonnées, je regarde les bonnets à pompons s’éloigner en sautillant avant de leur emboîter le pas en direction de la forêt du Risoud.

Son nom est la promesse d’aventures enchanteresses, par son histoire comme sa topographie. Océan d’épicéas, de hêtres et de sapins, la forêt du Risoud dessine une frontière naturelle entre la Suisse et la France. Plus grande forêt d’Europe d’un seul tenant, elle impressionne par sa densité labyrinthique. J’avais lu qu’en s’y plongeant sans carte ni boussole, on prenait le risque de s’y perdre – le réseau n’y étant que peu fiable. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la forêt du Risoud fut témoin de la résistance. Entre 1941 et 1944, nombre de Juifs et de Juives échappèrent à la déportation grâce aux Françaises Victoria et Madeleine Cordier qui les emmenait de nuit dans les sentiers tortueux de la forêt pour trouver refuge en Suisse auprès d’Anne-Marie Im-Hof Piguet et Fred Reymond.

Aujourd’hui, ce n’est pas sur les traces de la résistance que je m’aventure mais plutôt à la découverte du nouveau sentier didactique du bois de résonance du Risoud. Ici poussent des épicéas dont l’excellente qualité en fait du bois très recherché pour la lutherie. Sur un parcours de 6,4 kilomètres, on découvre les secrets de ce bois d’exception qui permet de fabriquer guitares, violons, pianos ou harpes.

Depuis le Brassus, je m’éloigne des dernières habitations en suivant la route. Sur ses côtés, le froid de la nuit a figé des mouvements de roues dans la boue. Le panneau indiquant «Grandes Roches», le point de départ du sentier didactique, m’invite à quitter l’asphalte pour disparaître entre les branchages. Ça grimpe d’emblée sur un sol couvert de feuilles craquantes.

Je rejoins l’arrête de la colline où les arbres laissent parfois place à de petites clairières. La palette de couleurs me surprend par sa vivacité : le brun fougueux des troncs, le vert profond des mousses moelleuses, l’ocre chaleureux des feuilles et le bleu du ciel. Çà et là, des monticules d’une neige ancienne projettent une blancheur éblouissante qui me fait plisser les yeux. Le vent souffle dans les arbres, créant l’illusion sonore de vagues déferlantes. La magie de la forêt du Risoud opère. Je me laisse guider par les losanges et flèches jaunes qui me font serpenter entre les souches, les pierres et les aiguilles.

Après une petite heure de promenade, je redescends de l’autre côté de la colline et arrive aux Grandes Roches. Ce site, hôte des Jeux Olympiques d’hiver de la Jeunesse en 2020, est le point de départ de divers parcours de ski de fond. Mais fin décembre, aucune chance de chausser les lattes ou les raquettes tant la neige est rare. Les flèches turquoise qui indiquent les itinéraires ressemblent à des vestiges d’un autre temps.

Le sentier est facilement accessible puisqu’entièrement goudronné. Les dix panneaux d’information renseignent sur le secret des épicéas exceptionnels qui composent 70% des arbres du Risoud. Dans cette région battue par les vents, le sol calcaire et les températures rudes créent des conditions difficiles pour les conifères. Ils poussent très lentement, comme en témoigne la finesse de leurs cernes de croissance. Les épicéas du Risoud se sont adaptés au fil des millénaires, développant des branchages tombants afin de réduire le poids de la neige et d’être moins sensibles au vent. Les aiguilles sont en outre mieux exposées à la lumière, permettant une meilleure photosynthèse. Malins, les conifères préservent ainsi leur énergie pour la consacrer pleinement à leur croissance.

Les épicéas arrivent à maturité vers 350 ans. Il est alors temps de les couper, en prenant bien garde à la position de la lune. En effet, les fluides des arbres sont attirés par elle comme les eaux des océans. Il faut donc les abattre lorsque la lune est la plus éloignée de la Terre. Le bois qui sera ensuite utilisé pour la création d’instruments de musique répond à des critères très exigeants – concernant sa pousse comme sa coupe. Mais je ne vais pas tout raconter, il faut prendre le temps de lire les excellents panneaux didactiques qui jalonnent le parcours.

Le sentier du bois de résonance forme une boucle entre la forêt et les pâturages parcourus de murs en pierre sèche. Des troncs coupés s’entassent au bord du chemin et parfument l’air froid. Quelques chalets et refuges ont éclos sur les pentes herbeuses ou à l’abri des branchages. Au bout de la boucle, l’ombre qui plane sur la route conserve une couche de neige gelée qui brille sous le soleil et croustille sous mes chaussures.

Dans mon dos, le soleil perce entre les plus hautes branches. Les arbres du Risoud peignent un décor inégal qui n’a rien de naturel. On cultive ici le principe de la «forêt jardinée» en s’assurant que se côtoient des essences variées à tous les stades de leur développement. Cette irrégularité permet de préserver les différentes fonctions de la forêt : production de bois, préservation de la biodiversité, protection contre les dangers naturels.

Après environ une heure et demie d’une promenade facile, sans dénivelé, je retrouve le point de départ des Grandes Roches. Afin de varier les paysages, le retour jusqu’au Brassus se fera par la route plutôt que par la colline.


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4 Commentaires

  1. pierrettej

    Belle balade … cette forêt est pleine de surprises , le chalet « Capt  » sauf erreur est un lieu idéal pour une réunion de famille ( ou autre ) , La Roche Champion offre une vue magnifique sur la France ( La Chapelle des Bois et le lac des mortes ) pas sûre des noms 🙁
    Merci pour toutes ces belles photos <3
    Bonne année à vous .

    Réponse
    • Camille

      Merci pour votre commentaire avec toutes ces infos!
      Une très bonne année à vous aussi 🫶

      Réponse
  2. Aurélie

    C’est superbe !

    Réponse

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Je m’appelle Camille et je suis touriste professionnelle (entre autres). J’ai créé Lève l’encre en 2017 pour partager le récit de mes voyages à la découverte des paysages de Suisse et d’ailleurs. J’espère te donner envie de voyager, notamment en privilégiant le train – pour la planète, mais aussi parce que c’est une expérience exceptionnelle.

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